La Revue des sciences de l’éducation existe depuis 1974. Par quoi sa création a-t-elle été motivée ?

Les directeurs et les doyens des départements et facultés de sciences de l’éducation des universités canadiennes de langue française ont présidé à la fondation de la revue dans la foulée des réformes qui, au Québec notamment, avaient débuté durant la décennie précédente. Celles-ci avaient mené à la formation de facultés universitaires, par exemple, pour succéder aux écoles normales, lesquelles étaient parfois moins centrées sur la critique ou sur l’innovation et davantage sur les aspects techniques du métier. Il s’agissait alors de soutenir et de stimuler la diffusion de la recherche d’expression française sur des objets propres à l’éducation ou à partir d’un point de vue fondé sur une démarche de recherche rigoureuse.

 

En plus de quatre décennies d’existence, la revue a probablement connu différentes périodes, tout comme la discipline dont elle relève.

Les sciences de l’éducation ont été traversées par de nombreux courants à travers le monde et depuis fort longtemps. Dans notre revue comme dans les autres de ce type en Europe francophone et en Amérique, le plus saillant est justement la pluralité des paradigmes. Celle-ci est particulièrement visible lorsque l’on observe l’évolution de ces questions sur une période un peu plus longue. Ce phénomène rappelle les différentes vagues dans la recherche en sciences sociales. Par exemple, le positivisme et le constructivisme ont alterné au haut du pavé, tout comme se sont en quelque sorte relayées les recherches plus psychologiques et plus sociologiques, ou encore le fonctionnalisme et le marxisme, en se chevauchant parfois. La liste pourrait être longue, en fonction des critères de classement.

Les éditeurs de la revue ont toujours veillé à ce qu’il ne se forme pas de chapelles. Il n’y a donc jamais eu une hégémonie d’un type de recherches, même si les méta-analyses, les enquêtes par sondage sur de grands échantillons, les recherches théoriques à visée universelle sont beaucoup plus présentes à certaines époques que, par exemple, les études de cas sur l’apprentissage d’une démarche disciplinaire par un groupe ciblé (et vice versa). Certains critères de classement font d’ailleurs aussi eux-mêmes l’objet de débat, comme la distinction entre les méthodes dites quantitatives et dites qualitatives, bien que cette caractérisation soit parfois très éclairante, flagrante ou utile. Notons toutefois que les recherches avec un design expérimental et un échantillon probabiliste sont un peu plus rares, pour toutes sortes de raisons administratives, éthiques, financières et techniques, mais aussi parce que les objets sont parfois difficiles à problématiser et que les variables sont souvent difficiles à isoler.

 

Pourrait-on affirmer que les problématiques traitées dans la revue, leurs évolutions sont le reflet des rapports que la société entretient avec l’éducation ?

Encore une fois, si l’on prend du recul, ces évolutions peuvent être associées, par exemple, à de grands courants politiques et sociaux, bien que l’image soit plus nuancée lorsque vue de plus près. Ainsi, dans les années 1970, l’augmentation du nombre annuel de jours de grève par personne, l’impact des luttes pour la décolonisation, pour les droits civils ou pour l’égalité des femmes coïncidaient avec la production et la diffusion de recherches sur la reproduction sociale, mais l’influence de la psychologie humaniste se manifestait aussi alors que plusieurs auteurs insistaient sur le développement de la personne, la créativité et la non-directivité. Une recherche analysait, par exemple, un programme ministériel d’intervention auprès des adultes qui privilégiait « comme changement social une transformation des classes populaires de l’intérieur, en réduisant la signification des revendications populaires et en refusant toute politisation pédagogique1 ». Par contre, dans les années 1980, alors que les politiques inspirées du thatchérisme et le recul de la combativité syndicale s’amplifient, on trouve un article portant sur les rôles joués par les directions d’école du Québec dans la relation école-commission scolaire2.

 

Comment la revue définit-elle sa ligne éditoriale, de quelle manière les sujets traités sont-ils sélectionnés ? La revue se donne-t-elle une mission politique, au sens d’éclairer la Cité ?

Disons tout d’abord que la revue reçoit tous les articles de recherche qui portent sur l’éducation. Dans ce sens, nous ne sélectionnons pas les articles pour qu’ils correspondent à un point de vue éditorial. Il y a évidemment une sélection, comme dans toutes les autres revues savantes, faites à partir des évaluations à double insu menées par des experts du domaine.

 

Depuis 2016, la revue n’est plus publiée qu’au format numérique. Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a conduit à délaisser le papier ? Y a-t-il eu des résistances ?

Les raisons pour lesquelles le format numérique a pris la place de l’imprimé, dans notre cas, sont simples : il était plus facile de joindre un public plus vaste en mettant nos articles en ligne, ces articles étant diffusés plus largement. Les coûts de publication de la revue ont aussi été pris en compte. Dans un contexte de compression budgétaire et de raréfaction des sources de financement, ce passage permettait de réduire nos dépenses et d’assurer la survie à long terme de la revue. Celle-ci n’était pas en jeu, mais les tendances générales nous rendaient plus prudents. Un autre facteur important a incité la revue à se limiter au format numérique. Il s’agit de la pression exercée par les organismes subventionnaires canadiens et québécois pour que les revues financées par eux deviennent totalement libres d’accès. Pour nous, cela impliquait un accès strictement numérique aux articles publiés.

Il n’y a pas eu de résistance comme telle, bien qu’il y ait de la nostalgie et une certaine crainte de perte de mémoire, s’il advenait des problèmes informatiques, par exemple. L’association avec Érudit était, de ce point de vue, rassurante, surtout quand on pense aux agissements des grands groupes de presse universitaire qui rançonnent les bibliothèques et les menacent de leur fermer l’accès à « leurs » archives de revues souvent créées avec des fonds publics et nourries par des chercheurs redevables à la société.

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La rédaction de la Revue des sciences de l’éducation a sélectionné quelques-uns des articles les plus marquants de son histoire. Retrouvez-les ci-dessous, dans la section Bibliographie.


Notes

1 Lionel Groulx, « Multi-Media : idéologie progressiste ou conservatrice ? », Revue des sciences de l’éducation, vol. 3, no 2 (1977) : 181-190. lire

2 André Brassard, Luc Brunet, Lise Corriveau et Georges Martineau, « Les rôles des directions d’école dans la relation école-commission scolaire », Revue des sciences de l’éducation, vol. 12, no 2 (1986) : 251-275. lire