Dans son billet, l’historien Robert J. Talbot a choisi, pour aborder l’histoire des fêtes du Canada, le fil conducteur de la dualité linguistique anglais-français. Comme sociologue de l’art et Wendat, je parlerai d’Histoire-spectacle en Kanata’, ce qui permet de suivre l’évolution des rapports entre les Canadiens anglais, les Québécois et les Autochtones. Trois phases découpent les 150 ans (1867-2017) :

  • 1. l’effacement, malgré leur résilience, des « Sauvages », dont l’année 1867 est le marqueur ;
  • 2. la reconnaissance des Autochtones d’aujourd’hui et la décolonisation des stéréotypes de l’Indien inventé comme envers du Blanc : le commencement d’une Histoire politique, dont l’année 1967 est le repère ;
  • 3. l’affirmation autochtone, dont 2017 est l’en-cours, dans un processus de Spectacles sans l’Histoire, reflet de la dislocation des identités nationales canadienne et québécoise dominantes.

 

1867

Cette période autour de la fondation du pays est tragique [1]1Revue de la Société historique du Canada
"Clearing the Plains" and Teaching the Dark Side of Canadian History
2015
. Elle s’articule sur la quasi-disparition des Premiers Peuples, dont le Gouvernement fédéral se voit confirmer la responsabilité exclusive en 1867. Les versions de la Loi sur les Indiens – à partir de 1857 et jusqu’en 1951 – systématisent les réductions et les mesures de génocide culturel, dont les pensionnats. Les langues autochtones sont réprimées. Tandis que nos cérémonies, danses et festins sont déclarés illégaux, les premières scènes offertes aux « Sauvages » sont les échafauds. Louis Riel et huit guerriers de Big Bear et Poundmaker seront pendus en 1885.

La Conquête est achevée. C’est l’appropriation des artéfacts et des savoirs. La symbolique autochtone entre dans les images et devient des scénarios pour une culture du spectacle naissante. Des Blancs y jouent aux Indiens – c’est le syndrome Emily Carr et Grey Owl [2]2Canadian Studies
Hearing the Voices in Armand Garnet Ruffo’s "Grey Owl: The Mystery of Archie Belaney"
2006
.

Place dès lors au Wild West Show [3]324 images
Une photo mythique a 125 ans cette année : Prise de guerre
2010
 – ce qu’ont compris William Cody, alias Buffalo Bill, Sitting Bull et Gabriel Dumont – et, plus tard, aux stéréotypes des cow-boys et des Indiens, du Sage Indien ou du Sauvage Guerrier dans la photographie, le cinéma, la télévision, les foires, les grandes expositions et les fêtes de commémoration [4]4Revue de la Société historique du Canada
Appropriating the Past: Pageants, Politics, and the Diamond Jubilee of Confederation
1998
.

On les verra lors du tricentenaire de la ville de Québec en 1908 alors que l’Histoire-spectacle [5]5Recherches sociographiques
Note de lecture: H.V. Nelles, "L’Histoire spectacle. Le cas du tricentenaire de Québec" (trad.), Montréal, Boréal, 2003, 428 p.
2003
 est recréée en tableaux vivants sur les Plaines d’Abraham [6]6Cap-aux-Diamants
Les «pageants» : l’histoire mise en scène 
1993
. Les Indiens des alentours étant dans un état de pauvreté telle que les organisateurs anglais feront appel aux Indiens des compagnies à la Buffalo Bill pour rejouer la scène du massacre de Dollard des Ormeaux. Ce fut de loin le meilleur tableau : les Indiens gagnent, comme jadis 
[7]7Revue d'histoire de l'Amérique française
Annaotaha et Dollard vus de l’autre côté de la palissade
1981
 !

Dans la réalité, il faudra attendre 1951 pour que les interdits sur nos fêtes et cérémonies soient légalement levés. Un an plus tard toutefois, en 1952, le profil de l’indien à coiffe dans une cible sera la toute première image télévisuelle de Radio-Canada. Comme dira Marshall McLuhan: le médium est le message !

Mire d’essai de la RCA (Radio Corporation of America ) utilisée à partir de 1940 et jusqu’à l’avènement de la télévision couleur. Source: RCA [domaine public], via Wikimedia Commons

1967

En 1967, deux des plus grandes scènes sont offertes aux Autochtones. Elles marquent la résurgence de l’Autochtone autodéterminé comme troisième acteur entre le Canadien fédéraliste et le Québécois indépendantiste. 

Le processus de décolonisation, débuté avec le projet de Gouvernement indien d’Amérique du Nord de William Commanda, Jules Sioui et Origène Sioui en 1944-1953 [8]8Ottawa, Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones
Les Sept Feux, les alliances et les traités autochtones du Québec dans l'histoire
1996
, prend le devant des scènes. À Vancouver, une foule de 32 000 personnes entend le chef Dan George qui prononce son célèbre discours des
Lamentations sur la Confédération (Lament for Confédération), préfigurant une grande carrière au cinéma [9]9Revue de la Société historique du Canada
"It’s Our Country”: First Nations’ Participation in the Indian Pavilion at Expo 67
2006
.

Oh Canada, how can I celebrate with you this Centenary, this hundred years? Shall I thank you for the reserves that are left to me of my beautiful forests? For the canned fish of my rivers? For the loss of my pride and authority, even among my own people? For the lack of my will to fight back? No! I must forget what’s past and gone.
Chef Dan George, 1967

À Montréal sur le site d’Expo 67, Terre des Hommes, la plus célébrée des expositions universelles, le pavillon des Indiens du Canada, indépendant de ceux du Canada et du Québec, offre une architecture distinctive – le tipi –, des grandes œuvres d’artistes autochtones contemporains menés par l’artiste-chamane Norval « Copper Thunderbird » Morrisseau et des salles thématiques qui donnent à voir et réfléchir au monde entier la problématique des réserves en Kanata [10]10Anthropologie et Sociétés
Un Wendat nomade sur la piste des musées: pour des archives vivantes
2014
. Le Spectacle se fait Histoire politique.

Le site de l’Exposition universelle de 1967 durant l’hiver; pavillon des Indiens du Canada, 1967-1968. BAnQ Vieux-Montréal (P97, S1, P7844-7844). Photo : Armour Landry.

2017

L’amnésie historique semble s’estomper au début du nouveau siècle. En 2001, pour la première fois on célèbre la Grande Paix de Montréal de 1701 [11]11Vie des arts
«Histoire d’un traité de paix…», exposition au musée Pointe-à-Callière, Montréal
2001
. En 2008, lors du 400
e  de la fondation de Québec, la Première Nation huronne-wendat est reconnue comme hôte historique [12]12Inter
Expositions «sous réserves»: les avancées à Wendake et à Mashteuiatsh
2009
. Toutefois en 2010 à Vancouver, alors que l’Inukshuk Inuit est le symbole des Jeux olympiques d’hiver [13]13TOPIA: Canadian Journal of Cultural Studies
“A Portrait of This Country”: Whiteness, Indigeneity, Multiculturalism and the Vancouver Opening Ceremonies
2012
, le ministère des Affaires indiennes et du Grand Nord fait parvenir dans les réserves des housses pour cadavre alors qu’y sévit, pire qu’ailleurs, le virus de la grippe A (H1N1) [14]14Inter
Au regard de l’aigle, les Indiens sont partout et nulle part!
2009
!

Et voici 2017. Un nouveau clivage semble s’observer. D’une part, se conjuguent à nouveau la commémoration du 150e anniversaire de la Confédération canadienne et celle du 375e de la fondation de Montréal en une série de Spectacles sans l’Histoire : prouesses technologiques (le pont Jacques-Cartier illuminé pour 40 millions de dollars), de l’art de rue surdimensionné (les fables des Géants à Montréal et Ottawa) ou de petits récits fragmentés (la controversée série The Story uf Us sur CBC, un spectacle privé américanisé au Centre Bell, la bataille des drapeaux des Patriotes, de l’Unifolié et du Fleurdelisé à Québec, le nationalisme télévisuel des matchs de hockey et des vendeurs de bières – a « Canadian game » [15]15International Journal of Canadian Studies
Playing Promotional Politics: Mythologizing Hockey and Manufacturing “Ordinary” Canadians
2011
).

D’autre part, aux mutations locales des communautés pour une meilleure justice sociale via l’éducation la revitalisation des langues, les Pow Wows et les usages coutumiers traditionalistes, s’ajoutent des mouvements sociaux nationaux (Idle No More /Plus Jamais l’Inaction, par exemple [16]16Nouvelles pratiques sociales
Idle No More: identité autochtone actuelle, solidarité et justice sociale. Entrevue avec Melissa Mollen Dupuis et Widia Larivière
2014
) et altermondialistes de protection de la Mère Terre. Des pipelines en partance de Fort McMurray en passant par « Standing Rock » et les luttes contre la déforestation des « Indios » d’Amazonie, la lutte écosystémique contre les exploiteurs et pollueurs de la Nature, mettent les Autochtones en marches d’opposition. La réparation a préséance sur la réconciliation.

 

 

Lire également

James Daschuk, La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées et disparition du mode de vie autochtone, trad. Catherine Ego, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015.

François-Marc Gagnon, Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941-1954,  Lanctôt Éditeur, Montréal, 1998, « Protestation contre la loi du cadenas », p.573-576. Lire en ligne 

Bruno Cornellier, La « chose indienne ». Cinéma et politiques de la représentation autochtone au Québec et au Canada, Montréal, Nota bene, 2015.

Jean-Jacques Simard, La réduction. L’autochtone inventé et les Amérindiens aujourd’hui, Québec, Septentrion, 2003.