Pouvez-vous expliquer ce qui a motivé la revue à passer au libre accès ?

La revue Lien social et Politiques (LSP) a longtemps été publiée en version imprimée seulement. Ses exemplaires étaient postés à ses abonnés et disponibles en vente libre dans certaines librairies au Québec et en France. Un changement majeur est survenu en 2002 lorsque la revue a été, pour la première fois, diffusée en format numérique sur la plateforme Érudit. Les abonnés avaient droit à la primeur des parutions – et recevaient toujours un exemplaire imprimé – mais les articles passaient au libre accès après deux ans. Le dernier numéro de la revue diffusé en double version (imprimée et numérique) est paru en 2014. La revue s’engageait dès lors dans la voie du libre accès.

« Nous avons compris que la revue ne pouvait plus espérer couvrir l’ensemble de ses coûts de fonctionnement à partir des revenus d’abonnement. »

Ce passage a été annoncé dans le texte de la demande de subvention envoyée au CRSH à l’été 2014 dans le cadre du concours d’aide aux revues savantes. L’obtention de la subvention a confirmé notre décision. La réflexion s’était amorcée l’année précédente. Bien que, dans ce domaine, les orientations des organismes subventionnaires n’étaient alors pas encore connues, nous soupçonnions que ceux-ci encourageraient fortement les revues à favoriser ce format de diffusion. Nos abonnements étaient d’ailleurs en baisse, comme l’avait révélé l’exercice réalisé pendant la préparation des demandes de subvention. Nous avons compris que la revue ne pouvait plus espérer couvrir l’ensemble de ses coûts de fonctionnement à partir des revenus d’abonnement – ce qui avait déjà été le cas dans le passé. La dépendance de LSP aux ressources financières offertes aux revues par le CRSH et le FRQSC venait d’être confirmée. Dans un tel contexte, les revenus d’abonnement constituaient toujours un apport financier intéressant, mais non essentiel.

De plus, alors que depuis sa création, LSP était une revue indépendante, il avait aussi été décidé d’en transférer la responsabilité administrative à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Dans ce contexte, il nous paraissait préférable de simplifier la gestion de la revue en abolissant le système de suivi des abonnements.

Des résistances se sont-elles manifestées ? 

Le comité québéco-français de la revue était entièrement solidaire de la décision du passage au libre-accès qui se présentait comme une solution idéale pour faciliter l’accès à nos articles à un plus large lectorat international et comme un passage obligé pour toutes les revues dans l’avenir. L’obtention des subventions de soutien aux revues en 2014 et 2015 (CRSH et FRQSC) avait aussi permis de financer la numérisation des numéros antérieurs à 2002, soit à partir de 1979, ce qui renforçait notre présence dans l’espace numérique.

 

Voyez-vous déjà des résultats, des changements relatifs au passage au libre accès ?

Le passage au libre accès complet est récent. Il s’est amorcé avec le numéro 73, le premier numéro paru en 2015 (la revue publie deux numéros par an). Les données de consultation fournies par Érudit pour les numéros parus depuis 2011 montrent d’abord que pour tous les anciens numéros diffusés sous abonnement (et barrière mobile de deux ans), le téléchargement des articles connaissait toujours une hausse significative une fois que la barrière était abolie et que tous les articles étaient disponibles gratuitement. LSP est une revue thématique et les thèmes sont soigneusement choisis pour s’inscrire étroitement dans l’actualité des grands débats sociaux. Or, dans les faits, ce n’est que deux ans après leur parution – et les efforts de publicité des nouvelles parutions depuis longtemps terminés – que nos numéros devenaient vraiment populaires ! Les données de consultations qui concernent les deux numéros parus directement en libre accès en 2015 sont non équivoques : leur intérêt a été immédiat auprès des lecteurs de la revue et un pic de consultation est visible dès le premier mois de diffusion du nouveau numéro.

Téléchargement des numéros de la revue Lien social et Politiques mis en ligne sur la plateforme Érudit entre octobre 2011 et décembre 2015. Préparation des données : Sarah Cameron-Pesant/Érudit, 2017.

« Autrefois, ce n’est que deux ans après leur parution que nos numéros devenaient vraiment populaires. Avec l’accès libre, l’intérêt est immédiat. »

Si nous ne disposons pas, pour le moment, d’autres informations statistiques permettant de documenter l’impact de la décision du passage au libre accès, nous savons que celui-ci a profondément transformé les activités conçues par la revue pour faire connaître la parution de ses nouveaux numéros. N’importe quel lecteur potentiel peut maintenant accéder directement à un article qui l’intéresse. La promotion des nouvelles parutions, en particulier celle sur support numérique, peut aisément inclure des liens à cliquer, par exemple dans les infolettres que nous diffusons à un large public ou dans les messages postés sur Facebook et relayés par ceux qui suivent notre revue sur les médias sociaux. Les responsables des numéros thématiques et les auteurs peuvent beaucoup plus facilement difffuser eux-mêmes l’information et espérer inciter de nouveaux lecteurs à venir consulter les numéros et articles récemment parus.

 

Se priver des abonnements, cela signifie aussi se priver d’une source de revenus. Comment la revue finance-t-elle son libre accès ?

Le libre accès fait maintenant partie de l’identité de la revue. Ce choix a bien entendu des conséquences sur le plan financier, mais les coûts de production d’une revue scientifique sont de toute manière trop élevés pour compter uniquement sur des revenus d’abonnement. LSP ne peut espérer poursuivre ses activités que si elle obtient un soutien financier public, comme la majorité des autres revues scientifiques qui ne reposent pas sur un système où ce sont les auteurs qui paient pour faire publier leurs articles en libre accès. Les lecteurs d’aujourd’hui veulent avoir accès immédiatement et sans aucune contrainte aux articles qui les intéressent. Les publications sont nombreuses et il est facile d’éviter celles dont l’accès est payant. L’époque de la fidélité sentimentale des lecteurs à une revue semble révolue et, dans le cas d’une revue thématique comme LSP, cela a, de toute manière, toujours été un défi majeur. La revue a fait le pari du libre accès et l’avenir nous dira si elle a eu raison.

« Les lecteurs veulent avoir accès immédiatement et sans contrainte aux articles. Or, les publications sont nombreuses, il leur est facile d’éviter celles dont l’accès est payant. »