Jours courts, hivers longs, froids terribles. Le Canada est « plus rigoureux que la Sibérie », les vapos du géographe ne mentent pas [1]1Cahiers de géographie du Québec
Le Nord et l'hiver dans l'hémisphère boréal
2000
. Ni les vers de Gilles Vigneault.

Ma maison ce n’est pas ma maison c’est froidure
Mon pays ce n’est pas un pays c’est l’hiverGilles Vigneault, 1965 [2]2Cap-aux-Diamants
Mon pays c’est l’hiver
1991

Il fallut un mot pour dire le Nord canadien, physique, identitaire, mythique, voire politique : la “nordicité” [3]3Études internationales
La nordicité : nouveau mythe canado-québécois de politique étrangère
1979
, [4]4Cahiers de géographie du Québec
10 Idées pour le Nord : un manifeste pour la nordicité
2012
.

Il faut bien, pour passer au travers de son hiver, s’étourdir de quelques lumières et de quelques fêtes.

 

Lumières de Noël

La plus lumineuse de ces fêtes est sans conteste Noël, qui est aussi une fête du solstice :

« […] la théologie chrétienne véhicula très tôt le thème du Christ “lumière du monde”. Cela amena vraisemblablement les autorités de l’Église à substituer les célébrations chrétiennes, touchant la naissance de la “lumière du monde”, aux fêtes païennes relatives au culte solaire. C’est en 354 que le pape Libère parvint à imposer la fête de la Nativité le jour même où la Rome païenne avait célébré le soleil victorieux. »
Yvan Fortier, 1996 [5]5Cap-aux-Diamants
Une fête venue de la nuit des temps : Le 25 décembre
1996

C’est une fête de lumière et de chaleur humaine dont le sens survit à sa commercialisation. “Dans cette grande foire qu’est la fête moderne, nous observerons souvent un effort conscient pour retrouver le sens du cadeau” et lors du réveillon “la recherche du sens d’un repas pris en commun, avec des gens que l’on aime” [6]6Recherches sociographiques
Le temps et la fête dans la vie sociale
1966
.

Que mange-t-on ensemble ? De la tradition et du réconfort roboratifs. Pour un Noël comme autrefois, on servira de la tourtière et des cretons [7]7Cuizine
Tourtière and Cretons: Celebratory French-Canadian Meat Dishes in Today’s New England
2013
, du ragoût, des carrés aux noix et des croquignoles, recettes incluses [8]8Cap-aux-Diamants
Au menu du réveillon
1996
.

Extrait du catalogue de Noël Eaton, années 1960. Archive.org : http://bit.ly/2BMMGdo. Colorisation originale par Cyril Doisneau.

Et à qui donne-ton ? Aux enfants bien sûr. Quoiqu’il n’en fut pas toujours ainsi, que l’enfant à Noël fut quêteur avant d’être gâté [9]9Ethnologies
Noël, de l’enfant quêteur à l’enfant gâté : le sens d’un passage
2007
. On donne aux plus démunis également, qui souffrent davantage des conditions climatiques et , autrefois particulièrement, de la saisonnalité du travail [10]10Historical Papers
The Winter’s Tale: The Seasonal Contours of Pre‑industrial Poverty in British North America, 1815‑1860
1974
. Une charité bien ordonnée toutefois, qui dérange peu la chaleur de l’entre-soi :

« Mais le temps de Noël devient aussi le prétexte à exercer une charité bien ordonnée, incarnée par “l’esprit de Noël”. Charles Dickens en fut le chantre. Son fameux Conte de Noël (Christmas Carol), publié à Londres en 1843, définit cet “esprit” comme un mélange de compassion et de partage, où “la force mobilisatrice de la sympathie” est supérieure à l’esprit de révolte. L’esprit de Noël est aussi une glorification de la famille et de la privacy (l’intimité) qui se construit à la même époque en Angleterre. »Martyne Perrot, 200 7 [9]9Ethnologies
Noël, de l’enfant quêteur à l’enfant gâté : le sens d’un passage
2007

 

Carnavals et mardis gras

Si vous habitez Terre-Neuve, peut-être vous prêtez-vous au mummering pendant “les 12 jours de Noël” (du 25 décembre au 5 janvier) et allez-vous en bande, masqués et déguisés, de maisons en maisons [11]11Newfoundland and Labrador Studies
Mummers and Real Strangers: The Effect of Diminished Isolation on Newfoundland Christmas House Visiting
1992
[12]12Ethnologies
«Making Cool Things Hot Again»: Blackface and Newfoundland Mummering»
2008
, [13]13Newfoundland and Labrador Studies
The Mummers Song in Newfoundland: Intellectuals, Revivalists and Cultural Nativism
1988
. C’est une autre façon de réchauffer l’hiver.

Simani, The Mummers Song, 1983.

Les fêtes carnavalesques offrent en effet un heureux exutoire, « une espèce de Saturnales [pour] le peuple, lassé des privations » [14]14Port Acadie
Fonction sociale de la mi-carême à Natashquan
2008
. Traditions venues d’Europe, elles ont dans une certaine mesure survécu, l’être humain étant « particulièrement fidèle à un rite qui marque la mort de l’hiver » [15]15Études françaises
Carnaval : fête, révolte, spectacle. Pour une histoire
1979
.

Le carnaval toutefois a subi un certain embourgeoisement dans les grandes villes. À l’exemple du carnaval de Montréal qui connut cinq éditions entre 1883 et 1889 :

« [D]ès le départ, cette fête sportive est clairement associée à des objectifs économiques et touristiques. En plus de permettre aux clubs [sportifs] de se rencontrer entre eux, le carnaval a pour but d’activer l’économie de la ville durant la saison morte en attirant les visiteurs étrangers et de placer avantageusement Montréal sur l’échiquier touristique tant américain que canadien. »Sylvie Dufresne, 2001 [16]16Cap-aux-Diamants
1883-1889 : Quand Montréal avait son carnaval!
2001

Il fallait, à l’époque déjà, « mettre Montréal sur la map ».

Après quelques éditions à la fin du XIXe siècles, également pilotées par les gens d’affaires [17]17Ethnologies
La « Revengeance » des duchesses: Une mise en scène carnavalesque hors Carnaval
2012
, le carnaval de Québec reprend vie en 1954, en réponse aux mêmes volontés :

« La formule actuelle du Carnaval a débuté en 1954 grâce à l’initiative d’hommes d’affaires qui formèrent le comité du Carnaval. Ils voulaient promouvoir l’économie durant la période creuse de l’hiver, après les fêtes de Noël et du Nouvel An. Intensifier le tourisme en saison d’hiver, stimuler le commerce régional, animer une période ordinairement calme, multiplier les événements d’ordre social, artistique et récréatif, tels sont les objectifs poursuivis dès l’origine. » François Hulbert, 1971 [18]18Cahiers de géographie du Québec
François Hulbert
1971

« Folklore et tourisme n’ont cependant pas suffi à vider Carnaval de toute substance. Ici et là, des carnavals ont lieu au cours desquels des groupes populaires vivent, dans l’excès, la licence, la ripaille, quelques heures, parfois quelques jours de “temps joyeux” » [15]15Études françaises
Carnaval : fête, révolte, spectacle. Pour une histoire
1979
. À Québec, on sait « décarnavaler », subvertir l’image officielle de ce « Carnaval [qui] se veut aussi une entreprise touristique qui gère la promotion de “l’hiver québécois” » [19]19Ethnologies
«Carnaval» et «Décarnaval» ou la culture irréversible : Expérience de terrain pendant le Carnaval de Québec Kellogg’s, 1998-2000
2003
. On tente par différentes initiatives de « rappelle[r] que la fête, pour réussir, doit être d’abord et avant tout sociale. Loin des préoccupations touristiques du Carnaval de Québec, [on] met de l’avant le Carnaval par le peuple et pour le peuple » [17]17Ethnologies
La « Revengeance » des duchesses: Une mise en scène carnavalesque hors Carnaval
2012
.