Quand le secteur des technologies a commencé à se développer, les spécialistes du marché du travail, dit-on, avaient bon espoir que l’industrie échappe aux stéréotypes de genre et à la ségrégation professionnelle, ceux-ci n’ayant aucune justification historique. Ni la force physique des hommes ni la sensibilité envers les autres associée aux femmes ne pouvaient, dans ce secteur, légitimer les différences de genre. L’optimisme fut de courte durée. De nombreuses études montrent que, quand s’agit d’égalité salariale et d’avancement dans la carrière, les femmes sont, dans les TI comme dans tous les secteurs à forte prédominance masculine, confrontées à des obstacles qui leur sont propres.

 

Un secteur d’abord masculin

Beaucoup de recherches se sont attelées à comprendre pourquoi si peu de femmes et de filles choisissent d’étudier dans les sciences, la technologie, le génie et les mathématiques, et donc dans les TI [1]1Regards sur la société canadienne, Statistique Canada
Les différences entre les sexes dans les programmes de sciences, technologies, génie, mathématiques et sciences informatiques (STGM) à l’université
déc. 2013
. Les stéréotypes à propos des programmeurs et les mauvaises expériences en classe font partie des facteurs identifiés pour expliquer ce phénomène [2]2Open Source Business Resource
Redefining "Women's Work": Tensions Between Technology, Entrepreneurship, and Social Reproduction
juill. 2011
, [3]3Rapport du Comité permanent de la condition feminine, Chambre des communes
Les femmes dans les métiers spécialisés en sciences, en technologie, en génie et en mathématiques
2015
. Certaines femmes toutefois choisissent de faire carrière dans les TI et un nombre croissant de recherches s’intéressent à leurs expériences. Sur le plan international, le portrait qu’elles en dressent est plutôt désastreux.

Elles montrent que la culture masculine et les biais liés au genre constituent une source de problèmes pour les femmes, parmi lesquels le harcèlement et des environnements de travail hostiles, et incitent nombre d’entre elles à quitter le secteur [4]4Journal of Technology Management and Innovation
"Disappearing Women": A Study of Women Who Left the UK ICT Sector
2010
.  Elles montrent aussi que les femmes montent plus lentement dans la hiérarchie et qu’on les retrouve rarement dans les postes de haute direction, ce qui est également vrai dans de nombreux secteurs, comme cela a été très largement documenté [5]5Relations industrielles
Exploring the Career Pipeline: Gender Differences in Pre-Career Expectations
2011
. Au Canada, les femmes représentent environ 25 % des travailleurs et des travailleuses du secteur des technologies, 19 % des travailleurs et des travailleuses des métiers technologiques et environ 20 % des cadres dans le secteur des technologies de l’information et des communications (Enquête sur la population active de Statistique Canada, 2016, telle que citée dans un rapport de Femmes en communications et technologie paru en 2017).

Selon les études, la situation des femmes dans les TI canadiennes est comparable à celle des autres pays développés [6]6Women & Entreprise Working Paper, University of Ottawa, Telfer School of Management / CATA WIT Forum
Gender Challenges of Women in the Canadian Advanced Technology Sector
2007
.

 

Affiche pour la promotion du droit de vote des femmes, Ligue des droits de la femme (1922-1959), 31,5 × 48 cm, publiée entre 1930 et 1940. Archives de la ville de Montréal, cote CA M001 BM014-4-D02.

Un Québec a priori différent

Sur le plan de leur représentation, la situation des femmes dans les TI au Québec et au Canada est similaire. En 2015, la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, savoirs et sociétés (Université Laval) s’est associée avec TECHNOCompétences autour d’un projet financé par Condition féminine Canada. L’un des objectifs du projet était de documenter et de comprendre les réalités vécues par les femmes dans les TI, au Québec. L’équipe de la Chaire, dont je fais partie, se compose de deux chercheures spécialisées dans les TI (avec de nombreuses années d’expérience dans le secteur) et de deux chercheures spécialisées en études féministes et en équité en emploi. Nous avons mené des entretiens semi-dirigés avec des gestionnaires et des femmes à fort potentiel dans trois grandes entreprises (des sociétés de l’industrie du logiciel, du conseil en TI et du jeu vidéo).

Nous avons repéré beaucoup de ressemblances entre la situation au Québec et dans le reste du Canada, mais aussi quelques différences a priori notables (cf. les premiers résultats). Ces différences s’articulent autour de deux axes.

Premièrement, les femmes que nous avons rencontrées ont déclaré se sentir en général bien acceptées et que celui-ci n’était pas particulièrement hostile ou injuste à l’endroit des femmes – bien que quelques situations d’injustice et de harcèlement aient été rapportés. Elles reconnaissaient cependant que le fait d’évoluer dans un milieu majoritairement masculin les contraignait à adopter certaines normes de comportement.

L’autre différence concerne les congés parentaux et l’articulation travail-famille. Le Québec a mis en place une politique généreuse pour les congés de maternité, de paternité et parentaux que les travailleurs et les travailleuses du secteur des TI prennent très au sérieux – surtout les trentenaires. Il apparaît que les entreprises et les équipes de travail tendent à bien respecter le choix des employé.e.s et des cadres de pouvoir profiter de ces congés. Beaucoup ont cependant admis que de s’absenter du travail, pour quelque raison que ce soit, signifiait également se couper des réseaux d’influence et impliquait de sacrifier leurs chances de promotion à court et moyen terme.

Des mesures visant à améliorer l’articulation travaillent-famille ou à encourager les filles à étudier dans les TI ne suffiront pas.

Quand il y a des efforts, il y a de l’espoir

La “bonne nouvelle”, c’est que les entreprises, à la fois celles qui travaillent dans les TI et celles qui en consomment beaucoup (la finance, le commerce en ligne, etc.), sont confrontées à d’importants problèmes de recrutement et de rétention de la main-d’oeuvre qualifiée. Le secteur des TI est un excellent terrain pour étudier le « business case » pour la diversité en action. “Les femmes et les TI”, le sujet est à la mode et les dirigeants d’entreprise reconnaissent que les femmes constituent un bassin de talents sous-exploité. Bien sûr, les choses n’avancent pas toujours sans heurts, comme en témoignent les récents événements survenus chez Google.

Encourager les filles à étudier en TI ou mettre en place des mesures d’articulation travail-famille ne suffiront pas. Bien que l’école soit un excellent endroit pour amorcer le changement et que la flexibilité soit très appréciée à la fois des employés et des cadres, les employeurs doivent comprendre qu’il en faudra davantage pour recruter les femmes et pour les retenir dans le secteur. Ces actions sont certes utiles, mais elles occultent une autre réalité, à savoir le fait que l’articulation travail-famille signifie généralement rattraper son retard en travaillant depuis la maison [7]7Recherches sociographiques
Dans la nouvelle économie, la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle passe par… l’augmentation des heures de travail!
2005
. Le changement ne pourra pas non plus faire l’économie d’une critique sévère à la fois de la culture masculine qui prédomine dans ces emplois de haut niveau et des façons plus subtiles par lesquelles les biais de genre soulèvent des obstacles empêchant les femmes de poursuivre leur carrière en TI.


Traduit de l’anglais par Delphine Lobet.