Avant d’aller jouer dehors on s’habille chaudement. « À la canadienne » avec mitasses, carnail et tapabord, pour suivre les élégances thermiques du Régime français [1]1Cap-aux-Diamants
S’habiller à la canadienne
1991. Ou « comme les gens du nord », avec un choix de fibres internationales – « les lainages anglais et les shetlands écossais, les cachemires et les duvets finlandais » – dicté par « notre goût pour la mode et pour les biens de renom » [2]2Cap-aux-Diamants
S’emmitoufler comme les gens du nord
1991.
Vous êtes maintenant prêtes et prêts à épouser la neige et la glace. Mais à quoi jouerez-vous ?
Sports d’hiver
En matière de sport, le choix est vaste.
Ferez-vous, comme les soldats de la Nouvelle France, de la raquette [3]3Vie des arts
Achimac ou la raquette pour marcher sur la neige et Nouvelle-France
1965 ?
Profiterez-vous de la neige que le réchauffement climatique veut bien nous laisser pour glisser sur vos skis [4]4Cahiers de géographie du Québec
The Impact of CO2 – Induced Warming on Downhill Skiing in the Laurentians
1987 ?
Serez-vous assez aventureux pour tenter une partie de pêche blanche et en consommer les fruits [5]5Mémoire pour la maîtrise en ressources renouvelables, Université de Chicoutimi
Étude toxicologique sur la consommation de poisson de pêche blanche sur le fjord du Saguenay
2004 ?
Balaierez-vous frénétiquement la glace pour y faire glisser une pierre de granite et faire vivre une longue tradition canadienne ? Le premier club de curling canadien a été fondé à Montréal en 1807 et plusieurs auteurs affirment que l’établissement du curling dans ses formes modernes – il a probablement été importé d’Écosse – « constitue l’une des plus importantes contributions du Canada au sport mondial » [6]6International Journal of Canadian Studies
Curling in Canada: From Gathering Place to International Spectacle
2007. Ce sport toutefois laissera peut-être les francophones indifférents. Historiquement, en tout cas, le Québec en fut « discrètement exclu » [7]7Globe
Le curling au Québec entre 1870 et 1920. Une exclusion discrète des milieux francophones et ouvriers
2006.
Plus probablement, vous jouerez au hockey ou vous suivrez religieusement les séries à défaut de pratiquer ce sport « naturellement canadien ».
« Ce sont les travaux d’Harold Innis qui, parmi les premiers, ont suggéré que ce qui définissait les Canadiens était un environnement hostile dans lequel ils devaient survivre. […] Toutes les différences culturelles seraient ainsi gommées par les liens de solidarité que les Canadiens tisseraient entre eux à travers leur lutte commune pour la survie dans un environnement hostile, froid et sauvage. […] C’est ainsi que, façonné par l’hiver, le hockey aurait spontanément jailli de cet univers pour devenir naturellement le sport de tous les Canadiens. » Emmanuel Lapierre, 2014 [8]8Bulletin d'histoire politique
Le hockey est-il naturellement canadien? Pour un débat sur le hockey et l’identité nationale
2014
Naturellement, vraiment ?
Les historiens du sport expliquent que, sans la création d’une Ligue nationale de Hockey agressive dans ses objectifs commerciaux (« Now we can get on with the business of making money »), le sport national canadien aurait aussi tout aussi bien pu être la crosse ou le football. « C’est en multipliant les tentatives de commercialisation au fil des décennies, liant le hockey à la géographie, notamment à l’hiver et à l’identité canadienne, que ces “fabricants de mythes” auraient popularisé le hockey de la LNH. »
Une fabrication à laquelle le gouvernement aurait également contribué en « promouv[ant] le hockey auprès des Canadiens en tant qu’élément de culture commune » et en l’instituant, à partir de la toute fin des années 1960, en « arme diplomatique » [8]8Bulletin d'histoire politique
Le hockey est-il naturellement canadien? Pour un débat sur le hockey et l’identité nationale
2014 :
« Si les médias sont les porteurs d’une vision plutôt fédératrice, voire fédéraliste de la Série du siècle [où le Canada vaincra l’URSS en 1972], il serait illusoire d’ignorer le rôle du gouvernement canadien dans la construction de cette perception du sport international. L’unité canadienne et la construction d’un sentiment national sont d’ailleurs l’un des objectifs principaux de la politique sportive du Canada depuis 1970. » Pierre-Luc Beauchamp, 2014 [9]9Bulletin d'histoire politique
La Série du siècle de 1972: un catalyseur de l’identité canadienne?
2014
Paysages canadiens
Peut-être préférerez-vous profiter du silence et de la pureté des paysages hivernaux. La nature. Silencieuse. Fascinante [10]10Cap-aux-Diamants
La muse hivernale: Fascination des artistes étrangers
1991. Immaculée. Vierge. Sauvage. Apolitique.
Et pourtant, tout est politique, la nature comme le hockey.
Longtemps la « wilderness » canadienne fut décrétée sans intérêt :
« On est bien forcé de constater à quel point les conventions s’opposaient à faire de la wilderness canadienne un sujet digne d’intérêt. Si elle ne portait pas trace d’une main humaine, la nature sauvage n’était pas acceptée comme paysage pour la peinture. » Douglas Cole, 1980 [11]11Acadiensis
The History of Art in Canada
1980
Cette main humaine qui devait apparaître dans les paysage était un instrument au service de la colonisation. Ainsi certains ouvrages en circulation au XIXe siècle reproduisent-ils des paysages photographiques en y ajoutant des traces d’interventions humaines ou sélectionnent-ils les clichés qui les soulignent particulièrement la présence industrieuse des hommes afin de promouvoir auprès du public le peuplement de l’intérieur du Canada [12]12RACAR
Onward! Canadian Expansionist Outlooks and the Photographs that Serve Them
2016.
Il fallut attendre l’œuvre de Tom Thomson et à sa suite les travaux du Groupe des sept, soit les années 1920, pour que les paysages sauvages qui font aujourd’hui partie de l’image du Canada soient acceptés comme sujets en soi. Mais cela encore servait des desseins politiques :
« Les glorificateurs de Thomson forgèrent un symbole et un mythe qui trahissaient à la fois leurs préoccupations face à la modernité, qu’ils voyaient comme une menace pour la virilité et pour la société canadienne, et à la fois leur désir de créer un héros culturel national inspiré de leur propre vécu. Par leur ferveur antimoderniste pour les vacances dans la nature, ils contribuèrent à renforcer avec un regain d’enthousiasme l’image qu’on se faisait déjà du Canada, à savoir un pays sauvage peuplé d’hommes rudes et virils. » Ross Cameron, 1999 [13]13Journal of the Canadian Historical Association
Tom Thomson, Antimodernism, and the Ideal of Manhood
1999
Sauvage, rude et viril, peut-être. Mais que cela ne nous empêche d’être ému et de trouver ça bien beau quand la neige a neigé.