Il y a peu la ville de Québec célébrait son 400e anniversaire, aujourd’hui c’est à Montréal de fêter ses 375 ans et à la Confédération canadienne ses 150 années d’existence. Ces quelques chiffres témoignent du stade embryonnaire de notre culture et de notre patrimoine tels qu’ils se développent depuis l’arrivée des premiers colons d’Amérique. La France, ou des cultures plus anciennes telles la Grèce et les civilisations millénaires de l’Orient, pour contre-exemples, possèdent un héritage culturel, une histoire et un patrimoine bâti colossal, lesquels attirent chaque année des milliers de visiteurs sans que des mois de fête de fondation, de festivals ou d’autres prestations événementielles démesurées ne soient nécessaires. Pas le Canada.

Notre patrimoine matériel – notre cadre bâti – est naissant et précaire.

Archaïque et hybride, notre architecture fut d’abord l’une de survie [1]1Continuité
La maison de colon : Pour répondre à l’urgence
2008
, bâtie selon des techniques importées d’Europe qu’il fallut adapter à des conditions climatiques nouvelles et à des ressources naturelles inconnues [2]2Continuité
Mon père a fait bâtir maison
1997
. Ce simple constat soulève à lui seul nombre de questions. Quelle est donc la nature de cette architecture à préserver ? Qui sont les acteurs de ces questionnements patrimoniaux sur notre cadre bâti : les citoyens, les historiens, les architectes… ? Et comment les concerter ? Sans oublier de s’interroger sur la part qu’y tient l’héritage autochtone [3]3Nouvelles pratiques sociales
Repenser le rapport à la ville : Pour une histoire autochtone de l’urbanité
2010
.

Je n’ai pas la prétention de pouvoir répondre à ces questions complexes. Je souhaite plutôt amener le lecteur à s’interroger et à être plus critique devant la transformation de nos villes et face à nos gestes architecturaux. Pour ce faire, je discuterai brièvement de deux cas québécois, étant plus familière avec ce contexte, illustrant chacun à leur manière ces questions.

 

Le pavillon des Premiers-Peuples de l’UQAT

En 2009, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) inaugurait son pavillon des Premiers-Peuples symbolisant la cohabitation respectueuse entre les peuples autochtones et québécois. Comme le souligne l’université :

La préoccupation constante des artisans du projet, de donner au pavillon un caractère autochtone, se traduit entre autres par des références à la culture, dont un tipi, un cercle de vie, une œuvre d’art caractéristique, et par l’utilisation du bois et de matériaux identifiables à la culture autochtone.

communiqué de presse publié à l’occasion de l’inauguration du pavillon, 20 août 2009

L’UQAT mentionne également que :

Après consultation auprès des Autochtones et des Allochtones, les concepteurs ont inséré des éléments au décor du pavillon qui recréent un environnement naturel. […] un voilier d’outardes se dirigeant vers le nord orne le plafond, un foyer souligne l’importance du feu et des cimes d’arbres ajoutent un cachet naturel. Ces éléments réunis manifestent à la Terre-Mère le respect qui lui est dû.

page de présentation du campus de Val-d’Or

Ces extraits montrent une certaine démarche de consultation auprès des Premières Nations dans la création de cette œuvre architecturale institutionnelle. Mais ils révèlent surtout une phase d’élaboration conceptuelle entièrement entre les mains des architectes. Ce n’est qu’une fois l’idée du tipi et autres références établies que les principaux concernés furent interrogés. De la consultation des répondants autochtones, il a résulté des ajouts « décoratifs » au concept des architectes.

Est-ce vraiment là un processus collaboratif intégré répondant adéquatement aux besoins des principaux concernés et usagers, ici les étudiants de l’UQAT et les Autochtones, et générateur d’une œuvre architecturale symbolique d’un patrimoine que nous souhaitons pérenne ? 

Indéniablement, la culture autochtone s’est transformée depuis l’arrivée des premiers colons. Aujourd’hui, au XXIe siècle, que symbolise le tipi pour ces peuples ? A-t-il une signification qui corresponde à celle d’un lieu d’apprentissage et de transmission qu’est l’université ? Comment ce type d’architecture s’inscrit-il dans notre patrimoine culturel à plus grande échelle ? Est-ce vraiment ce type d’imitation, ce gigantesque objet de bois et de verre, bien loin de l’abri rudimentaire en peau d’animal, que nous souhaitons léguer aux futures générations, autant autochtones que québécoises et canadiennes ? Est-ce vraiment là l’idée du tipi qui doit subsister dans le temps ?

Pavillon des Premiers Peuples de Val-d’Or – UQAT. Architectes : MLS + Associés, architectes inc.
Crédit photo : Serge Gosselin

Je ne possède pas les réponses à ces interrogations que l’on peut ramener à cette question plus générale : collectivement, quelle image matérielle souhaitons-nous léguer aux générations futures mais aussi présenter à d’autres cultures ? Je constate seulement que ces questions qui me semblent pourtant primordiales s’avèrent systématiquement occultées de tout grand (et petit) projet.

Ces remarques ne se veulent pas négatives  les parties prenantes du projet du pavillon des Premières-Nations paraissent d’ailleurs satisfaites du résultat  mais interrogatives. Il est temps qu’ensemble, acteurs de la ville en changement et bâtisseurs d’une culture, nous réfléchissions à ces questions ; il est temps que nous réfléchissions à des démarches conceptuelles plus intégrées et facilement mobilisables par les acteurs du cadre bâti canadien.

 

Les legs du 375e de Montréal

Poursuivons avec l’exemple du 375e anniversaire de la fondation de Montréal.

Construire un patrimoine architectural durable et adapté aux besoins d’un milieu nécessite du temps, des années, voire des décennies. Dans le cas du 375e, en moins de trois années nous aurons décidé, conceptualisé et construit des projets à travers la ville  du moins aurons-nous tenté d’y parvenir pour 2017. Ces legs faits dans l’empressement vieilliront-ils bien et sont-ils représentatifs de l’image que nous voulons transmettre de Montréal dans le temps ? Ces projets sont-ils cohérents entre eux et avec le cadre architectural déjà existant ? Nous sommes-nous nous-mêmes, en tant que citoyens, demandé quels symboles nous représentent et lesquels nous voudrions voir persister ?

Pont Jacques-Cartier, Montréal, illuminations du 375e. Spectacle inaugural des festivités, 17 mai 2017.
Photo : Jonathan Denney

Il convient néanmoins de souligner les projets d’aides et d’apprentissage aux enfants subventionnés par ces festivités. Ou encore qu’à la suite d’un appel à propositions de nombreux projets citoyens furent sélectionnés pour recevoir une aide financière. Nous voyons là une tentative de collaboration plus intégrée afin d’améliorer le vivre en ville.

Toutefois, je me demande comment ces projets survivront une fois 2017 passé et lorsqu’ils seront financièrement laissés à eux-mêmes. Que subsistera-t-il ultimement du 375e ? Le souvenir amer des cônes orange et d’une ville en chantier ? Ce qui soulève de nouvelles questions, par exemple : comment se traduit la durabilité dans nos modes de financement, est-ce même pris en compte dans notre société consumériste ? Le 375e me semble bien une preuve que non…

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Ce bref texte tentait de démontrer la fragilité * et l’« en-train-de-se-faire » de notre patrimoine autant matériel qu’immatériel, tout en démontrant que des actions à plus grande échelle doivent être mises en marche afin que nous entamions une réflexion commune. Nous nous devons d’établir, ensemble, des objectifs collectifs vers la construction d’un patrimoine durable dont nous serons fiers.


  

* Voir Architecture et communication de Joseph Moukarzel (Paris, Presses des Mines, 2016) qui décrie la menace que la globalisation fait peser sur le patrimoine bâti à travers le monde. Les questions d’identité se révèlent de plus en plus primordiales [4]4Huffington Post Québec
L'architecture à l'ère où «espace virtuel» prime sur «espace physique»
20 mars 2017
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