Les sciences humaines sont invitées depuis plusieurs années à identifier et mettre en valeur les bonnes pratiques des professionnels qu’elles contribuent à former. Elles participent de ce grand mouvement de professionnalisation qui touche tout autant les parcours de formation que les emplois. Elles contribuent, par exemple, à mieux comprendre les processus de développement de compétences [1]1McGill Journal of Education
La construction des compétences pour enseigner
2008
. Elles peuvent aussi aider à mettre à jour les conditions de l’apprentissage professionnel d’un travail ou d’une activité [2]2Phronesis
De l’expérience formatrice à l’expérience apprenante: genèse et perspectives pour une mise en récit d’un processus de professionnalisation
2014
. Elles sont aussi au service de la résolution de problématiques comme la souffrance au travail [3]3Nouvelles pratiques sociales
La NGP : nouvelle gestion paradoxante
2010
 ou l’adaptation des compétences aux nouvelles réalités des organisations.

Il ressort que ces travaux de recherche soulignent la nécessité de bonifier les parcours de professionnalisation dans le but de favoriser la construction et la mise en œuvre de bonnes pratiques. Dans les métiers de l’éducation notamment, Tardif et al. [4]4Sociologie et sociétés
Les enseignants des ordres d’enseignement primaire et secondaire face aux savoirs: esquisse d’une problématique du savoir enseignant
1991
 rappellent combien la formation initiale ne prépare pas suffisamment aux nouvelles réalités éducatives rencontrées par les jeunes enseignantes et enseignants.

 

Servir les desseins de productivité et d’efficacité

Dès lors, de nombreux programmes de recherche en sciences humaines financent des projets visant à mieux comprendre les conditions d’exercice de la pratique professionnelle, notamment dans les professions de l’éducation et de la formation. Il s’agit de gagner en qualité, en efficacité et en productivité. Autrement dit, rendre le travail plus efficace face à l’évolution des besoins et des attentes sociales, dans un contexte budgétaire de diminution de la dépense publique. Les politiques publiques accompagnent cet intérêt pour la connaissance de la pratique professionnelle, au travers par exemple du nouveau management public qui mise sur une plus grande recherche d’efficacité et d’efficience de l’administration publique [5]5Nouvelles pratiques sociales
La modernisation de l’État québécois: la gouvernance démocratique à l’épreuve des enjeux du managérialisme
2010
 [6]6Revue Gouvernance
Re-examining the Rhetoric of Public Management Reform from a Critical Management Studies Perspective
2009
. Les travaux sur l’analyse de l’activité du travail sont fortement sollicités par les organisations [7]7Phronesis
Les situations professionnelles: un point de vue de didactique professionnelle
2012
. Enfin, les décideurs semblent aussi attendre de la recherche scientifique des propositions organisationnelles et pédagogiques susceptibles de favoriser les articulations entre les savoirs savants et les savoirs professionnels. C’est l’avènement de l’ingénierie. C’est l’appel de l’alternance [8]8Éducation et francophonie
L’alternance en formation, une figure de la pédagogie
2014
.

Tableaux statistiques sur les écoles québécoises – [1953?]. BAnQ Vieux-Montréal (E6, S7, SS1, D59296). Tableaux statistiques (1 sur 8) produits par l’École normale Jacques-Cartier, rue Sherbrooke Est à Montréal, devenue partie intégrante de l’Université du Québec à Montréal. Dossier produit pour monsieur Allard.

Définir et prescrire « l’Éducation »

Or, s’il nous semble important que les recherches en sciences humaines, et notamment en sciences de l’éducation, poursuivent leur quête d’une saisie compréhensive de la pratique professionnelle, il nous apparait éminemment essentiel de retourner aux fondements mêmes des sciences de l’éducation, voire à son histoire récente. Au XIXe siècle, avant même que naisse le construit de science de l’éducation, la pédagogie est attendue à l’instar de la philosophie, dans sa capacité à se résoudre à n’indiquer que les fins de l’éducation. Elle constitue les bases d’une science de l’éducation dont l’objectif est de produire des théories générales de l’Éducation. Le monde intelligible se doit d’être structuré, organisé, mis au service de cette quête de vérité et de cet idéal d’absolu. Les théories deviennent alors ce qui organise les idées. Elles visent à dire le vrai de la pratique éducative à grand renfort de thèses spéculatives. Construire une pensée pédagogique, c’est à la fois théoriser une réalité éducative, autrement dit, construire un savoir ou un objet de savoir, mais c’est aussi élaborer une méthode. Celle-ci a une fin : dire le vrai de la situation éducative. Nourrie notamment de la psychologie scientifique, « la » science de l’éducation est un discours pédagogique qui se veut d’abord et avant tout définir, voire décréter le modèle éducatif et le mode d’emploi de l’enseignement. En quelque sorte, la pédagogie, à l’aube du XXe siècle, se dissout en savoir psychologique appliqué [9]9Revue française de pédagogie
Spécificité et dénégation de la pédagogie
1997
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Nous faisons l’hypothèse qu’aujourd’hui les recherches en sciences de l’éducation demeurent confinées à ce paradigme. Elles portent en elles des théories sociales et éducatives externes. Elles participent aussi de l’élaboration et de la validation de modèles ou de méthodes qu’il convient de mettre en œuvre dans les différentes activités déployées par les organisations éducatives. Il y a donc aujourd’hui le maintien d’un héritage dans les finalités des programmes de recherches en sciences de l’éducation. À l’instar des différents projets de production d’un savoir pédagogique, portés par les disciplines comme la pédagogie scientifique, la pédagogie expérimentale, la science pédagogique ou « la » science de l’éducation, « les » sciences de l’éducation sont attendues dans leur capacité à dire le vrai pédagogique ou à définir la bonne pratique éducative.

 

Plaidoyer pour une refondation

Or, il peut être utile, voire essentiel de retrouver la finalité d’intelligibilité des sciences de l’éducation, même si celles-ci se fondent sur des disciplines scientifiques qui sont parfois encouragées, elles-mêmes, à révéler les bons modèles ou les meilleures méthodes. En effet, dans les sciences humaines, l’avènement des injonctions aux best practices et aux données probantes se substitue parfois à la réflexion sur les fins et sur les moyens de ces différentes disciplines. Pour s’extraire de ce confinement, les sciences de l’éducation peuvent offrir des exemples où le souci de compréhension et d’intelligibilité l’emporte sur l’obligation de résultat [10]10Recherches sociographiques
Compte rendu: Claude Lessard et Philippe Meirieu (dir.), L’obligation de résultats en éducation, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2004
2007
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Cela passe prioritairement par l’interpellation des théories qui fondent les disciplines contributives des sciences de l’éducation. Cela conduit aussi à la déconstruction-reconstruction des concepts et construits convoqués par les recherches en sciences de l’éducation. Cela requiert surtout de ré-interroger les fins de l’éducation pour mieux saisir la pertinence des propositions d’intelligibilité des réalités de la pratique éducative.