Vous êtes chercheure et une membre active de la communauté Wiki, comment est né cet engagement ?
Mon implication dans les projets Wikipédia est née au cours d’un projet de recherche. Dans le cadre de mon doctorat, j’ai travaillé sur la numérisation des archives photographiques et sur la circulation de ces archives, sur les usages qui en sont faits après leur mise en ligne. Je me suis alors intéressée aux partenariats entre la communauté Wikimédia et des institutions officielles, comme les bibliothèques et les archives [1]1Archives
Diffuser, partager et s’approprier le patrimoine documentaire québécois. Le projet collaboratif de BAnQ sur Wikimédia: une première au Canada
2016.
Pour bien comprendre comment ça fonctionnait, j’ai commencé moi-même à contribuer à l’encyclopédie, petit à petit. En corrigeant certains articles, en créant des articles sur des thèmes qui m’intéressaient, pas forcément en lien avec mes thèmes de recherche, sur des choses liées au quartier où j’habitais à Montréal, sur des immeubles, des lieux.
En parallèle, j’ai continué mes recherches sur le sujet. Sur la question des licences libres, sur la question de la négociation entre la réutilisation, les usages ouverts des documents historiques et la protection du droit d’auteur.
J’ai mené ces deux fronts en parallèle, jusqu’à aujourd’hui, en me disant que Wikipédia est peut-être une plateforme avec ses défauts et ses imperfections, mais qu’elle n’en existe pas moins et que tout le monde l’utilise. Les chercheurs et les gens qui sont capables d’en corriger les erreurs ont par conséquent la responsabilité de participer à son amélioration.
Observez-vous que les chercheurs se donnent cette responsabilité ?
Je dirais que la perception des chercheurs a un peu évolué dans les dernières années, on a fait pas mal de chemin [2]2Journal of the Canadian Historical Association
History, Interactive Technology and Pedagogy: Past Successes and Future Directions
2012. On se rend compte que Wikipédia est un outil de démocratisation des savoirs, de vulgarisation scientifique. C’est une encyclopédie populaire, si on veut. C’est aussi un site qu’on utilise tous les jours. Il y avait une certaine hypocrisie à critiquer Wikipédia alors que dès qu’on cherche la moindre information, c’est d’abord là-dessus qu’on va. Mais je pense que l’attitude évolue.
On voit également de plus en plus de projets entre Wikipédia et, non seulement des institutions publiques telles les bibliothèques [3]3Documentation et bibliothèques
Le Web 2.0 dans les bibliothèques: vers un nouveau modèle de service
2011, mais aussi des universités, des groupes d’étudiants, qui se mobilisent pour réaliser des activités collaboratives. De plus en plus de professeurs, d’enseignants incluent Wikipédia dans leurs cours pour faire des exercices d’écriture [4]4Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire
Pratiques d’écriture en ligne pour l’apprentissage des langues
2011, de synthèse de la littérature, de citation et de validation des sources.
La plupart des chercheurs sont aussi des éducateurs, des enseignants. Ils sont sensibles à la question de la transmission et de la démocratisation des savoirs et perçoivent bien le potentiel de Wikipédia sur ces plans-là. Bien sûr, pour certains il est facile de s’y mettre, et pour d’autres cela demande de l’accompagnement.
Wikipédia s’avère donc un outil pédagogique ?
Collaborer à Wikipédia permet vraiment de travailler à développer plusieurs compétences [5]5Documentation et bibliothèques
Wikipédia, la chimère du savoir libre
2015.
Un des points communs entre les principes de Wikimédia et la culture scientifique, c’est l’importance de citer ses sources. On ne peut pas créer un article sur Wikipédia s’il n’y a pas au moins une, voire deux ou trois références. C’est une condition sine qua non. Or, en tant qu’enseignant, on est toujours en train de dire à nos étudiants de citer leurs sources.
Ça peut aussi être une manière de motiver les étudiants. C’est sûr que lorsque l’on fait un travail de fin de session et qu’on sait que ça finira au fond d’un tiroir, c’est moins motivant que de savoir qu’on contribue à un article qui pourra être consulté par des milliers de personnes.
Un autre intérêt, c’est la découverte du code qui est derrière Wikipédia, le « wikicode », une forme simplifiée de HTML. Pour ceux qui ne connaissent pas trop le html ou qui veulent s’initier, c’est une belle opportunité de se familiariser avec un langage de balises.
Il y aussi la question des métadonnées, c’est un autre aspect important. Quand on verse une image ou un fichier dans Wikimédia Commons, la base de données multimédia, c’est essentiel de bien le référencer, de le décrire, d’ajouter des catégories pour qu’il puisse être retrouvé. L’indexation, c’est une compétence vraiment importante de la littératie numérique [6]6Éducation et francophonie
Le Web 2.0, rupture ou continuité dans les usages pédagogiques du Web?
2013.
Enfin, ça permet de sensibiliser à la question du respect des droits d’auteur dans la cadre des licences libres, puisque Wikipédia utilise notamment les licences Creative Commons. Il y a cette idée parfois que, avec les licences libres, on peut faire n’importe quoi, qu’on peut prendre et réutiliser sans citer personne [7]7Documentation et bibliothèques
Les enjeux des bibliothèques musicales à l’ère des pratiques culturelles numériques
2007. C’est l’occasion de faire de la sensibilisation, d’expliquer que licences libres, ça ne veut pas dire libre de faire n’importe quoi. Le droit d’auteur, c’est un autre point important de la littératie numérique.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets d’ateliers, de formations ou de projets ?
Tous les mois, mes collègues de Wikimédia Canada donnent des ateliers à la BAnQ, en collaboration avec l’ACFAS et la Fondation Lionel-Groulx. Ce sont des ateliers ouverts au public, tout le monde peut y participer.
Pour ma part, je fais des formations plus ponctuelles dans le cadre de projets qui peuvent être des projets de recherche. Pour les formations plus poussées, plus techniques, je travaille, avec Wikimédia Canada. Ils ont développé une expertise du point de vue des formations, et de mon côté je peux parler des liens avec le monde de la recherche ou accompagner un processus de réflexion.
Par exemple, avec une collègue (Karine Gentelet) et Wikimédia Canada nous sommes impliqués dans le projet « La connaissance, la culture et la langue atikamekw dans les projets Wikimédia », qui a été initié par des membres de la communauté atikamekw et des enseignants de l’école secondaire Otapi (Manawan). Nous sommes en train de monter une boîte à outils autour du projet, dans le cas où d’autres Premières Nations voudraient faire la même chose, c’est-à-dire créer une encyclopédie dans leur langue.